Laurent a écrit :
<euphémisme lourd>On oublie un peu souvent la responsabilité de l'utilisateur et de son agent utilisateur en matière d'accessibilité : la charge est actuellement, dans la lignée des méthodes d'accessibilité courante, entièrement reportée sur les responsables de contenu (au sens large, la présentation y est incluse). Mais l'accessibilité ne fonctionne pas tout à fait comme cela.</>
Je me permets de rebondir sur cette question qui me paraît assez centrale.
Le problème est celui de l'
indistinction faite par l'utilisateur entre le contenu distribué (l'ensemble des ressources disponibles sur un document web) et la gestion de ce contenu, gestion envisagée sous le double angle de l'émetteur d'abord (comment l'a-t'il structuré, organisé, rendu cohérent et compréhensible, et quels dispositifs a t'il développé pour rendre possible sa perception et son accès ? etc.) et l'outil de restitution de l'autre : comment l'outil utilisé va t'il représenter ce contenu ?
L'utilisabilité du web ne se présente donc pas seulement sous la double question "traditionnelle" de la structuration et de la restitution des contenus, question dont relève la notion d'accessibilité pris dans son sens courant, mais aussi sous celle de cette indistinction qui pose problème parce qu'elle retarde
le transfert de l'intégrale responsabilité de la restitution des contenus du producteur à l'utilisateur. Jusqu'à présent il était admis comme normal que la responsabilité relève du producteur de contenus (responsabilité éditoriale, webmastering, etc.) ; en d'autres termes l'utilisateur attend de l'information structurée et utilisable, ce qui est naturel. Cette attente, selon qu'elle est satisfaite ou pas, détermine aujourd'hui si un site a (ou pas) atteint son objectif.
Or il apparaît que cette attente est une décalque des attentes liées à des technologies antérieures, celles de l'imprimé (galaxie Gutenberg). Les technologies du web sont d'un autre type : elles n'impliquent pas que les contenus soient mis en forme pour prendre leur sens… elles
n'embarquent pas l'un pour caractériser l'autre.
Les contenus du web n'ont aucune autre forme qu'une suite humainement inutilisable d'informations numériques. C'est la restitution humainement utilisable (visuelle, auditive, tactile, etc.) qui donne du sens à ces contenus en leur donnant forme. Cette mise en forme n'est pas
in fine générée par le producteur mais bien par l'utilisateur via son UA : c'est donc à lui d'en prendre en charge l'entière responsabilité. Il y a bien, d'un modèle à un autre (galaxie Gutenberg > galaxie numérique), transfert de responsabilité quant aux conditions dans lesquelles la compréhension des contenus peut ou va se réaliser.
En rejetant la responsabilité de l' "utilisabilité restituée" sur le producteur ("ce site est génial", "ce site est mal foutu", "ce site est inutilisable", "ce site est vraiment trop moche", "ce site etc…") l'utilisateur se place de lui-même dans un état d'irresponsabilité : à aucun moment il n'a conscience d'être en partie la cause du problème qu'il rencontre.
Si le principe directeur est de distribuer un contenu complet ("contenu unique") dont la mise en forme n'est plus opérée par le producteur mais par l'utilisateur lui-même - dans la diversité de ses besoins, envies, attentes, capacités et possibilités ("utilisateurs multiples") - alors on remet en place l'ordre des priorités : au producteur de structurer, à l'utilisateur de restituer.
Mais tout ceci n'est possible qu'à condition qu'un certain nombre de points soient remplis :
1. les contenus sont débarrassés de toute indication de forme (typo, couleurs, tailles, mise en page…) : les balisages sont utilisés comme "porteurs de sens à restituer"
2. les contenus sont complets (présence de l'intégralité des ressources)
3. les contenus sont accompagnés d'un dispositif permettant l'organisation d'une restitution pertinente et personnalisable (auto-utilisabilité)
4. les utilisateurs apprennent à se servir des outils dont ils disposent.
Si les points 1. et 2. sont relativement simples à mettre en œuvre, les points 3. et 4. sont en revanche plus complexes à mettre en place.
Pour restituer un contenu de façon utilisable, deux critères impératifs doivent être remplis :
1. le contenu attendu a été trouvé
2. il a été rendu "orienté-utilisateur"
Le premier point, le "contenu trouvé" (l'essentiel de cette mission a été confiée à Google mais ce dernier pourrait bien assez vite ne plus être capable de la mener à bien) nécessite qu'au regard des millions de documents Internet disponibles, les contenus produits contiennent des "systèmes de repérage à fin de rapatriement" qui permettent à ces contenus d'être trouvés et rapatriés sur l'UA de l'utilisateur. Il y aurait tout un travail à mener là-dessus (sémantiques particulières, balisages spécifiques type micro-formats, etc…)
Le second point ("orienté-utilisateur") signifie que des dispositifs ont été conçus, développés et mis en place pour qu'une fois ce contenu trouvé et rapatrié il devienne utilisable par l'internaute. Des approches spécifiques telles qu'accessibilité ou interopérabilité ne répondent que partiellement à cet usage : elles garantissent plus ou moins que les contenus seront consultables et que
sous une certaine mise en forme leur mise en sens sera assurée ; elles ne s'adressent donc qu'à des contenus
déjà préalablement porteurs de cette mise en forme.
Le problème est qu'alors on n'autorise pas (ou alors très faiblement ou très incomplètement) l'intervention de mise en sens par l'utilisateur : les menus sont donnés dans un ordre donné, les pages organisées selon des hiérarchies spécifiques, les images placées et argumentées, etc. ; le transfert de responsabilité ne peut donc pas se réaliser et l'utilisateur est toujours placé en situation de dépendance par rapport à ce qui lui est donné. Certes, dans l'idéal il peut le modifier, le traiter, le transformer, l'adapter, etc. mais dans l'idéal seulement parce que les dispositifs permettant cette autonomisation responsable de l'utilisateur ne sont pas implémentés*. Tout ce qu'on trouve actuellement, c'est la possibilité d'utiliser des fonctionnalités liées à l'UA permettant d'intervenir sur du
déjà mis en forme. Même si ces mises en forme ne sont pas contraignantes - ou beaucoup moins - et autorisent une certaine latitude d'intervention de la part de l'utilisateur, elles préexistent à la décision de ce dernier de les faire-être, et donc conditionnent le rôle de l'utilisateur de ressources web à celui que le producteur lui fixe par avance. Cette façon de faire n'exploite pas les possibilités offertes par le média.
La gestion de l'organisation des contenus web par l'utilisateur lui-même doit être au cœur des démarches d'amélioration des contenus et services (c'est peut-être au fond ce qui se cache derrière un "produit" web 2.0 n'ayant pas encore atteint l'entièreté de sa formalisation théorique ?). Il y a là tout un travail à mener indépendamment des démarches de type W3C-WAI-accessibilité sur la structuration des contenus et les dispositifs qui doivent les accompagner, portant d'une part sur la
mise en place progressive de dispositifs favorisant ce transfert de responsabilité et de l'autre sur la
mise en place progressive d'outils éducatifs destinés à l'utilisateur, expérimentant de façon rationnelle cet ensemble de dispositifs et tenant compte des avancées technologiques, des habitudes utilisateurs, des possibilités d'interfaçage offertes par les UA normalisés et des langages disponibles.
* on peut imaginer des dispositifs permettant de ne récupérer que les menus, que les images, etc etc.
<edit>Conceptuellement tout le monde comprend comment fonctionne une page dynamique : elle n'existe en dur nulle part, c'est l'utilisateur qui la génère à la volée. Là c'est pareil ; le document web n'existe nulle part sous forme utilisable : c'est l'utilisateur qui le génère
en tant que mise en forme conformément à ses besoins/envies/contraintes</edit>
Modifié par Arsene (30 Oct 2007 - 11:01)